Confessions d’un microbiologiste : ce que j’aurais aimé savoir avant la fermeture de notre installation

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Les arrêts de production. Une période pendant laquelle l’équipe de production, après des mois de travail intensif, peut souffler un peu, tandis que l’installation et les équipements reçoivent l’attention nécessaire avant la reprise de la production. 

Bien sûr, c'est aussi l'occasion pour le service d'assurance de la qualité de nous relancer pour obtenir les rapports de qualité en retard!

Du point de vue d’un microbiologiste, les arrêts entraînent souvent une vague d’anxiété. Avec tous les ingénieurs et équipes de maintenance qui entrent et sortent de nos zones contrôlées, comment allons-nous bien pouvoir retrouver le contrôle? Combien de rapports de déviation vais‑je devoir rédiger pour toutes les violations des limites d’action? Mais surtout, il faut espérer que la moisissure ne refera pas son apparition dans nos locaux comme la dernière fois...

Avec le recul, j'ai appris que pour garantir un redémarrage réussi, il faut se préparer bien avant même que l'arrêt ne commence. Dans cet article, je vais partager quelques leçons apprises, des conseils concrets et les meilleures pratiques pour reprendre le contrôle de vos salles blanches. Ce que j'aurais aimé savoir avant la fermeture de notre installation.

Se préparer aux arrêts planifiés et imprévus

Qu'un arrêt soit planifié ou imprévu, l'objectif principal reste le même : préserver autant que possible l'intégrité de l'installation. D'après mon expérience, les meilleures chances de redémarrer une installation « du premier coup » reposent sur une planification minutieuse, une évaluation approfondie des risques et des mesures de protection robustes.

L’évaluation des risques doit impliquer une équipe multidisciplinaire, comprenant les services de la production, de l’assurance de la qualité, de la validation, de la microbiologie et de l’ingénierie, afin d’identifier les activités pertinentes et les risques de contamination associés à l’arrêt. J’ai vu de nombreuses complications (et catastrophes) qui découlent d’une mauvaise planification, notamment :

  • Augmentation de la contamination microbienne : En raison du manque de contrôle de l’afflux d’ingénieurs et de techniciens de maintenance, ainsi que de leurs outils et équipements respectifs.
  • Augmentation de la contamination physique : Des activités comme le forage ou la mise hors service du système de CVC dans les zones contrôlées peuvent introduire des charges de particules massives qui se propageront largement si elles ne sont pas contenues de manière appropriée, même par des mesures élémentaires telles que la pose de bâches ou la mise hors service des portes. La présence de poussière, de saleté et de débris peut compliquer l’élimination de la contamination microbienne en créant des barrières protégeant les microorganismes contre les désinfectants utilisés lors du nettoyage et de la désinfection des installations.
  • Équipement contaminé : Les contaminants viables et non viables présents dans l'air peuvent se déposer sur les surfaces des équipements de production. Comme beaucoup d'entre eux ont des surfaces élevées ou des conceptions complexes, il est difficile d'atteindre certaines parties ou zones, ce qui peut entraîner des cas de contamination grave.

J'ai appris qu'avec une planification minutieuse, il est possible de mettre en œuvre des mesures de protection proactives afin de réduire l'impact de la contamination sur les installations :

  • Blouse d’opérateur : Comme nous le savons, les personnes sont les principales sources de contamination. Afin d'atténuer le risque accru de contamination, tous les visiteurs doivent recevoir une formation et porter des vêtements appropriés, notamment une blouse, des couvre-chaussures et un bonnet.  Cela peut être préférable à une dispense totale ou à un relâchement des règles de tenue de protection pendant un arrêt de production.
  • Outils et équipement : Les outils et l’équipement d’entretien peuvent être recouverts de graisses, de lubrifiants et d’huiles. Les exigences en matière de nettoyage et de désinfection des outils et de l’équipement pendant la période d’arrêt doivent être bien définies afin d’éliminer toute contamination grossière. En collaborant dès le début avec les entrepreneurs pour établir des protocoles et des procédures, ceux-ci sont mieux à même de respecter les restrictions et les exigences applicables dans les zones contrôlées.
  • Signalisation claire : Les autorisations d’accès et les exigences en matière d’habillage doivent être clairement visibles sur les portes des salles blanches (en gros, empêchez les gens d'entrer dans les salles et limitez l'accès autant que possible).
  • Équipement de fabrication (salle blanche) : Des revêtements sécurisés, des bâches en plastique ou en Tyvek®, des sacs et des espaces de stockage doivent être prévus pour protéger l’équipement de la contamination.

En résumé, je retiens de mon expérience que la réussite des arrêts et des redémarrages repose sur une préparation minutieuse, une communication claire et des évaluations des risques approfondies et multidisciplinaires.

Remettre l’installation sous contrôle

Une fois la maintenance terminée, il y a toujours cette urgence de remettre la production en marche. Mais pour les microbiologistes, l’attente des résultats de la surveillance environnementale est une étape particulièrement stressante. Les retards sont souvent dus à des résultats insatisfaisants qui nécessitent de répéter le nettoyage et la désinfection. Il est donc essentiel de mettre en place des contrôles rigoureux de la contamination afin de lutter contre les menaces physiques, chimiques et microbiennes. Ayant constaté que de nombreuses installations retardent leur redémarrage par rapport aux délais initialement prévus, je présente ici quelques-unes des raisons les plus courantes de ces retards :

Contamination physique

Un des pièges courants que j'ai observés est le fait de négliger les pratiques de nettoyage approfondi. Les arrêts peuvent introduire de la saleté, de la poussière et des résidus chimiques dans l’installation. La contamination physique créera des surfaces occluses qui agiront comme des barrières pour protéger les microorganismes contre les désinfectants. Les résidus de contaminants chimiques peuvent également avoir un effet similaire, sans compter qu'ils peuvent réduire l'efficacité du désinfectant. Cela souligne l'importance de nettoyer les installations avant de procéder aux étapes de désinfection subséquentes. On peut utiliser des aspirateurs équipés de filtres HEPA pour éliminer la poussière, et des détergents pour traiter les graisses et les huiles.

Contamination microbienne

Le type de produit antimicrobien utilisé est également un point crucial. Les spores bactériennes et fongiques sont relativement difficiles à éliminer et nécessitent l'utilisation de produits sporicides, appliqués manuellement ou à l'aide de procédés automatisés, tels que la biodécontamination par vapeur de peroxyde d'hydrogène. Tout échec ou défaillance dans les étapes de traitement des surfaces peut entraîner des retards.

Certes, je ne connaissais pas les services de décontamination automatisés. Nous avions consacré beaucoup de temps à la conception et à la validation de notre programme de nettoyage et de désinfection manuels, je savais donc que notre programme de désinfection fonctionnait, c'est celui que nous avons toujours utilisé. Faire appel à un tiers pour décontaminer nos zones classifiées me semblait inutile et excessif, mais un arrêt de production a changé mon opinion. Malgré tous nos efforts, des moisissures ont continué d'être détectées lors de nos contrôles environnementaux après l'arrêt.

Face au choix entre prolonger indéfiniment la fermeture pour recommencer le nettoyage de fond en comble ou essayer quelque chose de nouveau, nous avons décidé de faire appel à un fournisseur de services automatisés de décontamination par vapeur de peroxyde d’hydrogène, le service de biodécontamination rapide Bioquell d’Ecolab.

La moisissure a toujours été un problème récurrent, car de faibles niveaux étaient fréquemment détectés lors de la surveillance de l’installation. Malgré d’innombrables heures d’investigations et de rapports de déviation, nous avons eu du mal à identifier la source de la moisissure. Cependant, un microbiologiste particulièrement attentif de notre équipe a remarqué une tendance à des récupérations accrues dans nos zones de grade inférieur après les arrêts et les travaux d’ingénierie. Après cet arrêt particulier, notre surveillance post-arrêt a montré une prolifération généralisée des espèces de Penicillium et d’Aspergillus dans nos installations à des niveaux alarmants.

Notre procédure après fermeture consistait en une désinfection manuelle. Nous avons toujours soupçonné que la conception de nos installations, avec les hauts plafonds et les crevasses étranges, avait quelque chose à voir avec les récupérations récurrentes de moisissures, car il était toujours difficile de désinfecter ces zones. Malgré tous nos efforts répétés pour pulvériser, essuyer et nettoyer nos installations, nos amis duveteux ont continué à réapparaître de manière agressive lors de notre surveillance post-fermeture.

Au départ, je craignais que les fournisseurs de services contractuels ne reconnaissent pas les particularités de notre installation, mais les techniciens du service de biodécontamination rapide ont évalué notre installation et identifié les problèmes potentiels. Nous avons été rassurés lorsque les entrepreneurs nous ont guidés à travers les étapes nécessaires pour nous préparer à la décontamination. Nous avons certainement beaucoup appris d’eux.

Les fournisseurs de services nous ont également informés que nous étions en mesure d’élargir la portée de ce qui doit être désinfecté, car la vapeur de peroxyde d’hydrogène peut atteindre ces zones difficiles d’accès. Le recours à ces experts nous a permis d'éliminer bon nombre de nos inquiétudes et de nos doutes, et leur rapidité et leur efficacité ont constitué un avantage considérable.

Après la visite du site préalable à la décontamination, une date a été convenue pour procéder à celle-ci. Les entrepreneurs sont arrivés sur place et les générateurs ont été placés stratégiquement afin d'assurer une bonne diffusion de la vapeur de peroxyde d'hydrogène. Ils ont placé des indicateurs biologiques contenant une population de 106 spores de Geobacillus stearothermophilus à divers endroits pour vérifier l’efficacité du service de décontamination. Un indicateur chimique a été placé pour chaque indicateur biologique. Ces indicateurs chimiques étaient différents de ceux que nous utilisions habituellement pour nos isolateurs : il s’avère que les indicateurs chimiques de Bioquell contiennent de l’encre réactive calibrée avec les réductions logarithmiques des indicateurs biologiques, offrant ainsi une indication instantanée sur la probabilité que le cycle de gazage atteigne une réduction sporicide de 6 logs, basée sur un changement de couleur.

Une fois le cycle de gazage terminé, les indicateurs ont été récupérés et traités par l’équipe de décontamination. Heureusement, les indicateurs chimiques ont montré des résultats prometteurs, indiquant que nous avions atteint la réduction souhaitée de 6 logs dans l’ensemble des zones traitées de l’installation. Ces résultats ont été confirmés par la suite après l'incubation de 7 jours des indicateurs biologiques.

Voir un niveau de destruction sporicide* dans des endroits où nos bras et nos vadrouilles n’atteignaient pas complètement était impressionnant, mais sur le site notre approche se résumait à : « faisons confiance, mais vérifions ». Comme nous voulions confirmer l'efficacité du service par nous-mêmes, notre équipe de microbiologistes a procédé à une surveillance environnementale intensive. Notre surveillance environnementale post-fermeture n'a révélé aucun dépassement des limites d'intervention ou d'alerte, et surtout, aucune réapparition de moisissures! Du point de vue d'un microbiologiste, le service de décontamination a été un succès total.

Un autre avantage du service de décontamination était la possibilité de réaffecter les ressources internes à d’autres activités. En raison de la taille de nos installations, la plupart des membres de notre équipe de production devaient participer au nettoyage et à la désinfection manuels des locaux. Chaque cycle de désinfection durait généralement entre 2 et 3 jours, et devait être répété plusieurs fois en raison de la réapparition régulière de moisissures. En faisant appel à un service de décontamination tiers, cela a permis à notre personnel de se consacrer à d'autres tâches importantes liées au redémarrage. Bien qu’il y ait eu une certaine résistance initiale au sein de notre organisation à l’idée de dépenser de l’argent pour un service de décontamination contractuel, il est important de se rappeler que les arrêts sont déjà coûteux, en particulier en termes de perte de productivité, car l'équipe de fabrication doit consacrer un temps considérable au nettoyage et à la désinfection, souvent suivis de retards ou de cycles répétés pour traiter toute contamination persistante. Si nous n’avions pas éradiqué le problème récurrent des moisissures, nous aurions prolongé l'arrêt de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Cela signifie des semaines sans production, des retards dans les expéditions de produits, des ruptures de stock potentielles pour les patients et de nombreux frais généraux supplémentaires, car tout le monde fait des heures supplémentaires pour résoudre les problèmes.

Ce n’est un secret pour personne que le paysage réglementaire au sein de l’industrie pharmaceutique est de plus en plus axé sur le contrôle de la contamination. Nous avons déjà été confrontés à un inspecteur qui a examiné minutieusement notre stratégie de contrôle de la contamination et remis en question notre capacité à réagir efficacement aux écarts en raison des incidents de contamination répétés qui avaient été observés. Cela nous a incités à revoir notre stratégie de contrôle de la contamination et à trouver des moyens de renforcer notre réponse à la contamination et d’être proactifs pour empêcher les événements de contamination de se produire.

Comme le service de biodécontamination rapide Bioquell nous avait aidés à sortir de plusieurs situations délicates depuis notre fermeture en raison d'une infestation de moisissures, nous avons décidé de renforcer notre réponse aux contaminations plus courantes en formalisant l’utilisation du service de biodécontamination​​​​​​​ comme plan B afin de garantir que notre installation puisse toujours retrouver un état contrôlé.

Réflexions finales : de la confession à la confiance

Les fermetures d’installations sont souvent perçues comme une pause nécessaire dans les activités, mais pour les microbiologistes, elles peuvent être perçues comme un exercice d’équilibre à enjeux élevés entre gestion des risques et préparation. Ce que j’ai appris par expérience, c’est que le succès ne vient pas de la chance, mais de la préparation, de la collaboration et de la volonté d’adopter de nouvelles solutions.

Les services de décontamination automatisés, autrefois considérés avec scepticisme comme coûteux et inutiles, sont devenus un précieux atout dans notre stratégie de contrôle de la contamination. Ils nous ont aidés à réduire les temps d’arrêt et à éliminer les problèmes persistants, ce qui nous a permis de lancer nos campagnes de fabrication en toute confiance. Plus important encore, ils nous ont permis de passer d'une approche réactive à une approche proactive.

Si je pouvais revenir en arrière et conseiller mon moi passé, je lui dirais : n'attends pas qu'une crise survienne pour repenser ton approche. Il faut investir dans les bons outils, s'appuyer sur l'aide d'experts et considérer chaque arrêt comme une occasion de renforcer la résilience microbiologique de l'installation.


*Lorsqu’ils sont utilisés conformément aux instructions figurant sur l’étiquette, les systèmes Bioquell d’Ecolab utilisent le stérilisant au peroxyde d’hydrogène Bioquell-AQ (numéro d'homologation de l'EPA : 1677-277). « Un stérilisant détruit ou élimine toutes les formes de vie microbienne dans l’environnement inanimé, y compris toutes les formes de bactéries végétatives, de spores bactériennes, de champignons, de spores fongiques et de virus », conformément au Code of Federal Regulations, titre 40, chapitre I, sous-chapitre E, partie 158, sous-partie W, § 158.2203.

 

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